Voyage d'études
de la Promotion "Jacques Guignard"
aux
Etats-Unis d'Amérique.


Par le Capitaine Antoine Doussaud (PEXA 2004)



Jeudi 24 juin 2004
Une année d'études aussi riche qu'éprouvante est sur le point de s'achever.
Les derniers stagiaires viennent de présenter à l'oral leur évaluation finale et les derniers rapports, les plus épais, sont enfin posés sur les bureaux des instructeurs impatients.

Il est encore trop tôt pour que chacun puisse vraiment réaliser qu'il en a terminé avec ces dix mois de travail acharné, qu'il va falloir se séparer de ce fidèle ordinateur portable qui nous a accompagné tout au long de ces dernières nuits blanches, qu'il y a une vie après l'Epner...

Heureusement nos preneurs d'otages ont pensé à tout : pour adoucir notre brutal transfert vers le monde réel, ils nous emmènent dès demain parcourir les Etats-Unis pendant dix jours, à la rencontre d'éventuels constructeurs d'aéroplanes qui pourraient nous donner un dernier éclairage pratique sur la façon dont on fait voler les plus lourds que l'air de ce côté-là de l'Atlantique.


Vendredi 25 juin 2004
C'est ainsi qu'après une nuit blanche de plus, consacrée au remplissage et à la fermeture des valises, nous nous retrouvons frais et dispo à 5 h du matin sur le parking de l'Epner pour commémorer avec quelques jours de retard et à notre façon Le Jour Le Plus Long : un périple de 25 heures nous sépare en effet de l'Arizona, passant par Marseille, Roissy et Atlanta.


Après moult passages de portiques, déchaussages et autres fouilles aéroportuaires, nous débarquons donc à 18 h local à Phoenix où notre guide, Jean-Rémy (qui deviendra rapidement JR), prend fermement notre emploi du temps en main pour le reste du séjour, laissant notre sécurité et l'air conditionné entre celles du chauffeur du car.


L'Arizona est un état très aride du sud-ouest des USA, partageant une frontière avec le Mexique, et dont le climat brûlant, énorme inconvénient autrefois, devint un atout au cours des dernières décennies : 300 jours de soleil par an, moins de 20 cm de pluie, et des températures descendant rarement en dessous de 20°C. Phoenix, la capitale bâtie en plein désert, est composée de grandes zones commerciales et de quartiers résidentiels très étendus et très peu animés, habités par une population plutôt âgée. Deux parties de l'agglomération, appelées "Sun Cities", sont même strictement réservées aux plus de 55 ans.
Après deux bonnes heures de route, nous atteignons Sedona et son confortable Hilton. Les trois contrôleurs de la promotion, trop contents d'avoir doublé leurs heures de vol de l'année en deux jours à peine, ne peuvent se retenir de fêter ça en plongeant tout habillés dans la piscine de l'hôtel.
Pour casser les habitudes naissantes, le repas est pris autour d'une grande table qui ne se rabat pas sur le siège de devant quand on a fini, et le Lcl Monot essaie de profiter de l'hébétude ambiante pour prendre un peu d'avance sur le débriefing qualité de l'année écoulée.
Après quoi les plus fatigués pourront trouver un vrai lit, laissant les plus consciencieux mettre à profit cette première soirée pour étudier quelques modes dégradés et évaluer l'effet de neuf heures de décalage horaire sur un organisme à peine affaibli par cette rapide mise en place...



Samedi 26 juin 2004
Avant d'attaquer les visites officielles, ce premier week-end est l'occasion de faire un peu de tourisme, et l'endroit s'y prête de façon spectaculaire puisque nous nous trouvons à quelques encablures d'une des plus impressionnantes merveilles du monde : le Grand Canyon.

Superbe phénomène géologique, ce n'est pas un simple canyon, mais plutôt un labyrinthe entier de canyons, de fissures et de gorges érodées dans une roche aux couches sédimentaires multicolores qui prennent des nuances variables suivant l'angle du soleil et les jeux d'ombre au fil du jour. Les roches ont été formées au fond d'une large mer il y a des millions d'années, quand des dépôts sédimentaires se sont accumulés sur une épaisseur de presque 1600 m. Plus tard, une grande collision de plaques tectoniques a levé cette région entière pour former le Plateau du Colorado qui se trouve aujourd'hui à 2500 m d'altitude. Le fleuve Colorado, déjà engoncé, est resté dans son lit et a creusé plus profond : immense, le sillon s'allonge sur 450 km. Au sommet des falaises, la largeur du Grand Canyon varie de 7 à 29 km. Au plus profond, l'eau court 1750 m au-dessous du Plateau. Des géologues l'ont surnommé la "machine à remonter le temps" : à la sortie du canyon, la roche a deux milliards d'années.


C'est donc devant ce paysage vertigineux que nous nous ébahissons inlassablement, certains n'hésitant pas à s'approcher au plus près du précipice, tutoyant le vide et jouant avec les statistiques : 7 personnes par an en moyenne s'adonnent ici involontairement à la pratique du base-jump sans parachute.

Puis nous rejoignons en fin d'après-midi l'hôtel Grand Canyon Inn, à 100 m d'un petit terrain d'aviation hébergeant de nombreux avions anciens et quelques warbirds superbes qui multiplieront les passages de présentation, se laissant admirer jusqu'au coucher du soleil.


Dimanche 27 juin 2004
Retour matinal vers le Grand Canyon où une moitié d'entre nous ne peut résister à l'envie de contempler la fissure géante d'un peu plus haut.
Les voilà donc embarquant à bord de curieuses machines qui réussissent tant bien que mal, à force d'agiter l'air en faisant tourner une grande hélice toute molle, à les transporter le long de la grande crevasse, à la traverser dans un sens et dans l'autre, sans malheureusement pouvoir descendre au fond, cette pratique étant désormais interdite suite à plusieurs accidents. Malgré les désagréables vibrations engendrées par ces engins saugrenus, le spectacle est total. Alain, notre photographe national, en revient les yeux plein d'émotion et la pellicule chargée de négatifs précieux.

Sur le retour vers Phoenix, nous faisons une première halte à Flagstaff, qui voit passer la fameuse "Route 66" : longue de 4000 km, mise en service en 1926, reliant Chicago à Los Angeles à travers huit états et trois fuseaux horaires, elle est aussi appelée "The Mother Road" ou "The Main Street of America". Abandonnée au début des années 80 au profit d'autoroutes plus fonctionnelles, elle reste un symbole puissant pour les grands voyageurs de l'Ouest.

Nous poursuivons 80 km plus au sud, à travers Oak Creek Canyon, qui constitue encore le décor idéal pour les derniers réalisateurs de westerns, et nous nous arrêtons cette fois à Montezuma Castle : une bâtisse est logée au creux de la falaise, une trentaine de mètres au-dessus de la vallée, composée de cinq étages et d'une vingtaine de pièces. On ne peut y accéder, on l'observe d'en bas : la roche qui la supporte est trop érodée. Cette surprenante demeure a été façonnée au XIIème siècle par les tribus Sinaguas, les "Sans-Eau", qui quittèrent les lieux au XVème siècle sans qu'on sache pourquoi, après y avoir appris à maîtriser l'irrigation.

Deux heures de route plus tard, nous atteignons l'hôtel à Scottsdale, y posons les valises et repartons illico pour Rawhide, un village cow-boy "typique", sorte de Disneyland consacré à l'histoire du Far-West. Nous y investissons un steakhouse où l'abondance de viande grillée comblera les estomacs les plus creux. Le chef, dont c'est l'anniversaire, se voit même offrir par le délégué de promotion une des ravissantes serveuses locales comme tout droit sortie d'un gâteau à la Lucky Luke !

Après un petit rodéo sur vachette électrique pour accélérer la digestion, il est temps de rentrer à l'hôtel, de se rafraîchir un peu par un dernier passage dans la piscine et d'engranger quelques heures de sommeil avant d'attaquer les choses sérieuses...


Lundi 28 juin 2004
La matinée est consacrée à la première visite officielle du voyage : Boeing Rotorcraft Division, à Mesa, Arizona. Malheureusement l'US Army s'est visiblement opposée à ce que le constructeur nous donne des informations pertinentes sur l'AH-64D Longbow. Nous restons donc sur notre faim après une présentation succincte de la société et de son service d'essais en vol, et le visionnage d'un film publicitaire répondant assez peu à nos attentes. Nous repartons déçus vers l'aéroport de Phoenix et embarquons pour Seattle en début d'après-midi, espérant bien trouver le lendemain chez les voilures fixes du même Boeing un meilleur accueil.
Seattle : carrefour international d'échanges et de transports, de commerce et de culture, à l'extrémité nord-ouest des Etats-Unis, est reconnue pour la qualité de vie légendaire qu'on y trouve. La société américaine du tourisme la considère comme l'une des dix meilleures destinations des Etats-Unis. Le chauffeur du car, natif de la région, nous fait découvrir avec un plaisir partagé les charmes de la ville et de ses environs avant de nous déposer à l'hôtel. Nous dînons au Fisherman's Restaurant, sur les anciennes jetées de pêche transformées en quais touristiques. Fruits de mer de rigueur !


Mardi 29 juin 2004
Suite à un petit réaménagement du programme, nous avons le début de la matinée pour apprécier encore les attraits de Seattle et nous nous rendons donc au marché de Pike Place. Surplombant les quais du Puget Sound, on y trouve abondance de magasins, kiosques et vendeurs proposant des fruits de mer frais, des légumes ou des fleurs. A l'opposé de l'Arizona, la ville a des côtés très européens.


Nous sommes reçus pour le reste de la journée chez Boeing Commercial Aircraft, sur le site d'Everett qui abrite, près d'une longue piste privée, de vastes installations dédiées à l'assemblage des 747, 767, 777 et plus tard du 7E7, ainsi que la division essais en vol du deuxième constructeur mondial. A notre grande surprise, le pilote d'essais qui nous accueille dans la maison s'exprime dans un français quasi-parfait : il s'agit de Douglas Benjamin, diplômé de l'Epner en 1990 et ayant participé à l'échange entre l'Ecole de l'Air et l'US Air Force Academy en 1977. Il se fait donc un plaisir de renouer avec la langue de ses études pour nous présenter de façon détaillée, pratique et très appréciée les essais variés qui sont menés à Everett. Les pilotes y ont non seulement l'occasion de tester les produits de la gamme, mais font également voler bon nombre d'avions plus légers et maniables, tels le T-38, comme avions d'accompagnement.
Au terme de cette visite fort intéressante, nos trois stagiaires Airbus se laissent même emporter par l'enthousiasme et n'hésitent pas à visser sur leur tête la casquette de l'ennemi pour aller supporter l'équipe de baseball de la ville qui affronte les "Texas Rangers" de Dallas. Grâce à nos encouragements frénétiques pendant les quelques minutes d'action de jeu qui ponctuent le match, les "Mariners" de Seattle l'emportent haut la main.


Heureusement la soirée dans le quartier de Pioneer Square, ses tavernes chaleureuses et leurs breuvages variés permettront de rafraîchir les esprits et de retrouver le sens des réalités...

Mercredi 30 juin 2004
Lever matinal (5h) pour décoller à l'aube vers Dallas et profiter, malgré le décalage horaire défavorable, de la fin d'après-midi dans la plus mythique des villes texanes.


Mondialement connue grâce à la série télévisée du même nom, Dallas est la ville du pétrole et des affaires. Si les puits sont répartis un peu partout au Texas et dans le Golfe du Mexique, si les raffineries sont concentrées sur la côte, et beaucoup d'entre elles à proximité de Houston, les sièges sociaux sont ici. La banque, l'assurance, le commerce de gros et les salons commerciaux complètent les bases de cette activité. Nous nous arrêtons à Pioneer Plaza : au centre de la ville, soixante-dix vaches à longues cornes, moulées dans le bronze, grandeur nature, menées par trois cow-boys du même métal, descendent une colline et traversent le ruisseau qui s'en écoule.


Un peu plus loin, dans Elm Street, une croix blanche sur le bitume repère l'endroit où JFK, en novembre 1963, fut probablement assassiné par Lee Harvey Oswald depuis la fenêtre du sixième étage d'un dépôt de livres scolaires, désormais transformé en musée.


La soirée est l'occasion d'une première prise de contact avec nos hôtes du lendemain, Lockheed Martin Aeronautics Company, dont quelques illustres représentants nous ont conviés à dîner dans un Tex-Mex réputé. Accueillis à la Margarita ou à la Corona selon les goûts, les échanges sont rapidement fructueux. Les plus expérimentaux (mais pas toujours expérimentés) d'entre nous se voient finalement proposer de tester a capella les piments locaux : des larmes, de joie sans doute, ne tardent pas à récompenser leur abnégation...


Jeudi 1er juillet 2004
Nous arrivons chez Lockheed Martin à 8h, sur le site de Fort Worth à 50 km de Dallas, où on nous a concocté une journée de visite des plus intéressantes. Une dizaine d'intervenants vont se succéder pour nous démontrer la puissance du groupe, la variété de ses productions et l'avance technologique qui les caractérise, le tout dans une atmosphère détendue et ouverte au dialogue. Le département essais en vol emploie 18 pilotes d'essais et 2 navigateurs officiers système d'armes, dont certains suivent exclusivement le développement des dernières versions du F16, du F22 ou du Joint Strike Fighter.


Après une brève présentation de la société, nous découvrons la maquette grandeur nature du JSF, puis le cockpit de démonstration : l'ergonomie en est impressionnante ! Plus de collimateur tête haute, puisque le viseur de casque à champ large est totalement intégré. Il est même possible, grâce à quatre caméras vidéo-IR installées sous l'appareil, de voir "à travers" l'avion dans toutes les directions, ce qui rend les décollages et atterrissages verticaux beaucoup plus confortables. Le son 3D fait également partie de cet environnement virtuel, mais le plus étonnant reste la disposition généreuse des trois grandes visualisations côte à côte sur la vaste planche de bord, et la facilité avec laquelle elles permettent de gérer et délivrer les 8 tonnes d'armement que peut transporter ce chasseur-bombardier.
Dans l'après-midi, on nous expose les autres principaux programmes d'essais en cours : F16 Block 60, C130J et C5. L'évolution du F16 porte essentiellement sur l'intégration du radar à balayage électronique et du Flir, un nouveau logiciel de CDVE, un "glass cockpit" avec 3 MFD, un système audio 3D et une augmentation de poussée et de masse max. Le C130J, conduit désormais par un équipage de 2 pilotes uniquement, voit son système évoluer largement et ses performances augmenter. Ses qualités de vol en revanche, jugées faibles par Peter qui les a évaluées quelques semaines plus tôt, ne sont pas améliorées ! Le C5 subit quant à lui une importante remotorisation et une modernisation de son avionique. Malgré la tendance massive à développer des drones de combat, les équipages d'essais ne craignent pas le chômage technique : quatre pilotes sont en effet affectés aux programmes UCAV de Lockheed Martin.
Après cette journée particulièrement riche et appréciée, nous rentrons rassasiés à l'hôtel.


Vendredi 2 juillet 2004
Dernière journée avant le retour en France, et dernière visite officielle. Bien que leurs installations soient normalement fermées pour cause de grand week-end avant la fête de l'Indépendance, Bell Helicopter a bien voulu nous ouvrir ses portes à Fort Worth et nous présenter ses activités.
Le V-22 Osprey a constitué leur programme militaire majeur ces dernières années. Abordant les aspects "commandes de vol" du convertible, nous débattons inévitablement avec le pilote d'essais de la compagnie sur les éternelles questions de pilotage "type avion" ou "type hélico", les qualifications et la formation des futurs pilotes opérationnels de cet engin hybride. On nous expose également les derniers développements de l'AH-1Z en matière d'avionique et de targeting, et les performances de l'UH-1Y. En matière de drone, la technologie du tilt-rotor a été utilisée sur l'Eagle Eye, capable de remplir des missions de surveillance et de reconnaissance à partir de terrains non aménagés sur lesquels il se pose en pilotage complètement automatique. Nous parcourons ensuite les lignes d'assemblage, puis terminons par le "Hall of Heritage" afin de mieux mesurer l'étendue des progrès techniques accomplis depuis les premières voilures tournantes.
Nous quittons nos hôtes après un traditionnel barbecue et passons la fin de l'après-midi dans un important centre commercial, chacun y trouvant l'occasion de dépenser ses derniers dollars dans un cadre bucolique.


Profitant de notre dernier repas sur le sol américain, l'encadrement nous remet le certificat officiel de séjour au Far-West et le chef fête une fois de plus son anniversaire. La dernière soirée permettra aussi aux plus prévoyants d'accumuler une petite dette de sommeil qui sera bien utile dans l'avion du retour. L'anticipation, toujours...


Samedi 3 et Dimanche 4 juillet 2004
La perspective du retour est peu réjouissante : il faut refaire en sens inverse le long parcours de l'aller, par Atlanta, Roissy et Marseille jusqu'à Istres.
Il faut d'abord dire merci et adieu à JR, notre valeureux guide, qui malgré ses timings un peu serrés, a su s'adapter subtilement à une population peu commune en voyages organisés. Lui aussi a découvert des choses grâce à nous, sur l'adaptation de l'homme aux milieux extrêmes...
Nous embarquons donc à Dallas pour un dernier vol intérieur, au cours duquel le chef a encore droit à un anniversaire en chanson, puis enchaînons les étapes jusqu'à Marseille-Provence où (presque) tout le monde récupère ses valises avant de regagner son chez soi.


Il ne reste plus qu'à ranger tous ces souvenirs avant la remise des diplômes et un repos sûrement mérité. Mais chacun ressent aussi qu'avec ce voyage se termine l'année d'études qui, bien qu'éprouvante pour les stagiaires et leur famille, a non seulement représenté un formidable enrichissement aéronautique, mais surtout permis de créer des échanges et des liens forts entre des personnes d'origines, de spécialités, d'expériences ou de nationalités différentes.
Que les vents leur soient favorables !

La Promotion "Jacques Guignard" remercie sincèrement l'Epner pour l'intérêt et la convivialité de ce voyage, à l'image de l'ensemble du stage.


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